De guerre lasse (1/3)
« Krebs s’aperçut que pour se faire écouter, il lui fallait mentir. Et quand il l’eut fait deux fois, lui aussi prit la guerre en aversion. Un dégoût de tout ce qui lui était arrivé pendant la guerre l’envahit, à cause de ses mensonges. Toutes les circonstances qui avaient pu lui donner un semblant de calme et de dignité (…) avaient perdu leur sens et leur valeur et s’étaient perdues elles-mêmes. »
Auteur combattant, Ernest Hemingway, à l’instar de Jean Giono, Erich Maria Remarque, Céline, ou Maurice Genevoix en France, connut l’horreur des tranchées. Son œuvre, même romancée, apporta l’irréfutable et puissant témoignage de l’expérience. Nourrie de récits héroïques, l’imagination populaire fut plus décontenancée lorsque ces témoignages, littéraires puis cinématographiques, servirent à verbaliser le difficile retour des soldats, et à décrire les séquelles psychologiques de celui qui avait survécu et rentrait chez lui.
Nostalgie, vent du boulet, shell-shock
La dénomination scientifique des traumatismes de guerre est assez récente : le terme TSPT, pour trouble de stress post-traumatique fut introduit en 1980, permettant ainsi la reconnaissance « officielle » des conséquences des traumatismes. Mais cette souffrance psychique existe depuis des millénaires : la Bataille de Marathon racontée par Hérodote, L’Odyssée, les témoignages sur les soldats démobilisés pendant les nombreuses trêves de la Guerre de Cent Ans. Dans le sillage des guerres napoléoniennes, les médecins militaires commencent à s’intéresser à la nostalgie, terme défini par Johannes Hofer en 1698, étymologiquement « douleur du retour ». Le célèbre chirurgien Larrey observe les commotions chez les soldats qui viennent d’échapper à la mort, manqués de peu par un boulet de canon (effet du vent du boulet); il décrit des symptômes que l’on identifierait aujourd’hui comme des stress post-traumatiques relevant de la psychiatrie.
Initiées par les grandes boucheries des guerres de l’Empire, les conséquences de la guerre sont encore plus dramatiques avec l’évolution des armements au cours du XIXe siècle. Quand on revient du front, on en revient amputé, mutilé, défiguré, traumatisé. C’est au cours de la Guerre de Sécession (1861-1865) que sont menées les premières observations sur les traumatismes de guerre, auxquels on donnera le nom de Soldier’s Heart. Le retour des soldats de la guerre civile américaine sera d’ailleurs l’objet de poèmes poignants d’Herman Melville (3), qui ne voyait dans les « boys » que des victimes en devenir à qui l’on refusait la possibilité de devenir adulte.
Au XXe siècle, avec la description par Freud, Charcot et d’autres de ces souffrances invisibles, le terme de névrose de guerre fait son apparition dans le sillage de la guerre russo-japonaise (1904-1905). La Première guerre mondiale, elle, donne naissance à un nouveau traumatisme qui n’a pas de frontière : obusite en français, kontuzija en russe, Kriegneurosen en allemand, et le shell-shock anglais, terme que les autorités se hâtèrent de bannir dès 1917. En effet, dans toutes les armées, les blessures psychologiques remettaient en question la moralité des soldats : soupçonnés de simulation, un grand nombre d’entre eux furent exécutés pour lâcheté.
Épuisement en 39-45, puis stress de combat au cours de la guerre du Vietnam, la souffrance psychique, quelle que soit sa dénomination, est fondamentalement la même et n’épargne aucun soldat, entrainant des répercussions qui durent souvent toute une vie. Le baume du « Welcome Home », loin d’être apaisant, est souvent amer… quand il y a un welcome. C’est dans les conflits de cette deuxième moitié du XXe siècle que les maux du retour vont être dévoilés au grand public, notamment par le prisme du cinéma.